La troisième journée du Hellfest s’ouvre sous un ciel couvert et grisonnant, pour le plus grand bonheur des festivaliers déjà éprouvés par deux journées caniculaires. Mais le répit sera de courte durée : la chaleur écrasante fera bientôt son retour, sans épargner la matinée.
Il en faut toutefois bien plus pour décourager le public, venu en nombre dès 11h pour assister au set de Lucie Sue, jeune figure montante du rock français. Un créneau matinal redouté, souvent délaissé, où l’artiste n’a qu’une poignée de minutes pour capter — ou perdre — l’attention des festivaliers.

Révélée au Hellfest en 2022 en tant que bassiste de session pour Steel Panther, Lucie Sue revient cette année sous son propre nom, et accède à une place de choix sur la Mainstage 1. Une progression rapide, mais méritée, tant son univers musical — entre rock abrasif, grunge 90’s et énergie punk — séduit par sa sincérité.
Dès les premières notes, le ton est donné. Pas de temps mort, pas de remplissage : Lucie Sue enchaîne les morceaux avec une intensité constante. Reckless et Hush, deux titres déjà bien identifiés par ses fans, résonnent avec force et déclenchent les premiers pogos dès le deuxième morceau.
Sa voix, tantôt rageuse, tantôt plus douce, s’adapte aux ambiances et capte une audience d’abord curieuse, puis rapidement conquise.
Malgré un format réduit à 30 minutes, Lucie Sue démontre une solide assurance scénique. Entourée de musiciens expérimentés, elle livre un set compact mais cohérent, où l’on sent l’envie de s’imposer, sans tricher. Un exercice délicat, mais relevé avec brio.

Le public, pourtant encore en phase d’éveil, répond présent. L’énergie circule, et le pari est gagné : celui de transformer un passage matinal souvent anecdotique en véritable performance remarquée.
Lucie Sue confirme ici son ancrage dans la nouvelle génération du rock alternatif français. Une artiste à la fois accessible et radicale, qui pourrait bien s’installer durablement dans les festivals majeurs.
C’est Majestica qui a l’honneur d’ouvrir cette deuxième journée sur la Mainstage 2, à un horaire souvent redouté par les artistes comme par les festivaliers. Mais là où certains peinent à mobiliser, les Suédois transforment ce créneau matinal en un véritable concentré d’énergie collective, fédérant un public encore en phase de réveil.

Si Majestica ne m’était pas inconnu, c’est surtout la prestation exceptionnelle de Tommy Johansson — guitariste et chanteur du groupe — qui m’a convaincu de m’y intéresser de plus près. En 2023, il avait remplacé au pied levé Joakim Brodén, victime d’une extinction de voix, lors du passage improvisé de Sabaton au Knotfest en lieu et place de Manowar.
Ce concert “bis”, porté par une voix totalement différente, avait marqué les esprits. Et c’est cette même présence vocale, maîtrisée et charismatique, que l’on retrouve aujourd’hui au Hellfest avec Majestica.

Le show s’ouvre sur “Power Train”, titre éponyme de leur dernier album sorti en début d’année. Dès les premières mesures, le ton est donné : vélocité, refrains épiques, et une intensité qui ne retombera jamais. Le groupe enchaîne les morceaux avec une précision redoutable, mêlant nouveautés et classiques dans une setlist courte mais bien construite.
Parmi les titres joués : Night Call Girl, No Pain, No Gain, ou encore Metal United. Trente minutes chrono, pas une de plus, mais aucune note superflue. L’efficacité est au rendez-vous.
Musicalement, le quatuor impressionne. Les solos sont ciselés, les chœurs généreux, et la voix de Johansson plane avec aisance au-dessus de l’ensemble. Le public, d’abord attentif, se laisse rapidement entraîner : têtes qui hochent, bras levés, refrains repris en chœur. Une communion progressive mais palpable.

Majestica ne s’est pas contenté de remplir son créneau : ils ont affirmé leur légitimité, et probablement conquis bien des curieux.
Setlist
- Power train
- Night call girl
- Rising tide
- No pain, No gain
- Above the sky
- Metal united
Les Norvégiens d’Audrey Horne ont décroché l’un des premiers véritables succès publics de cette troisième journée du Hellfest. Leur rock mordant, généreux et toujours très accessible, a parfaitement rempli une mission souvent délicate : réveiller les festivaliers encore engourdis par la chaleur et les excès de la veille. Et pour ceux qui ne l’étaient pas encore à 12h15, il y a fort à parier qu’ils l’étaient après les premières minutes du set.

Ce n’est pas la première fois qu’Audrey Horne est programmé en journée au Hellfest — je les avais déjà vus lors d’une précédente édition, sur un créneau encore plus matinal. Si le groupe semble abonné aux horaires du début de journée, on ne peut que rêver de les voir un jour programmés en fin d’après-midi, face à une fosse plus dense, pour mesurer l’ampleur de leur potentiel scénique à une heure de grande affluence.

Fort de près de deux décennies d’activité, le groupe affiche une maturité scénique impressionnante. Chaque riff est tranchant, chaque refrain immédiatement accrocheur. Les musiciens jouent avec aisance, sans artifices ni prétention, mais avec une conviction totale.
Toschie, frontman charismatique, n’hésite pas à descendre dans le public, brisant la barrière scène-fosse pour créer une vraie communion. Le public, réceptif, se laisse embarquer sans résistance dans cette déferlante rock’n’roll.

En seulement 30 minutes de set, Audrey Horne enchaîne les morceaux avec un sens du rythme parfaitement rodé. Aucun temps mort, aucune hésitation. Les solos s’enchaînent, les chœurs s’élèvent, et l’énergie ne redescend jamais.
Le pari est une nouvelle fois gagné : malgré un créneau ingrat, le groupe parvient à fédérer, captiver et même électriser. Leur musique, à la croisée du hard rock classique et du rock moderne, parle à toutes les générations de festivaliers.

Setlist
- This is war
- Animal
- Younglood
- Pretty little sunshine
- Waiting for the night
- Redemption blues
Toujours sous un soleil écrasant et dans une atmosphère saturée de décibels, Ross The Boss a investi la Mainstage 2 tel un conquérant retrouvant son trône. Ancien guitariste d’un groupe aussi vénéré que controversé – notamment pour son absence fracassante au Hellfest il y a quelques années – le vétéran du heavy metal est venu remettre les pendules à l’heure avec un set rageur, frontal et sans compromis.

Dès les premières notes de “Blood of the Kings”, le ton est donné : ce sera un hommage sans détour à l’âge d’or du heavy metal. Aucune incursion dans son répertoire solo, pas d’arrangement moderne ni d’habillage superflu : seulement l’essence brute de ce que Ross The Boss incarne depuis plus de quarante ans.
En l’espace de 45 minutes parfaitement calibrées, il enchaîne les hymnes comme autant de coups de marteau : Sign of the Hammer, Fighting the World, Kill With Power, Hail and Kill… La ferveur monte crescendo, et la nostalgie agit comme un courant galvanisant. La fosse devient un temple. Le riff, une religion.

À plus de 70 ans, Ross Friedman affiche une forme et une précision qui forcent le respect. Les riffs sont ciselés, les solos mordants, et la rythmique solide comme un roc. Le groupe qui l’entoure est à la hauteur : compact, soudé, énergique, il pousse l’ensemble avec une efficacité remarquable. L’alchimie est là, palpable, et le public – composé de vétérans fidèles et de curieux conquis – répond présent à chaque refrain, à chaque cri de guerre.

Ce concert n’aura pas simplement été un moment de nostalgie bien ficelé. C’était une déclaration de légitimité, une preuve vibrante que le heavy traditionnel a toujours sa place sur les plus grandes scènes du Hellfest.
Le heavy old-school n’a pas dit son dernier mot. Il grogne encore, il frappe fort, et tant qu’il y aura des guitares, des hymnes et des poings levés, il restera debout.
Setlist
- Blood of the kings
- Sign of the hammer
- Kill with power
- Fighting the world
- Black wind, fire and steel
- Kings of metal
- Battle Hymn
- Hall and kill
Désertion temporaire des Mainstages, direction l’ombre bienveillante de la Temple, où la chaleur étouffante du chapiteau contraste avec la promesse d’une plongée sonore bien plus froide. Attiré par l’origine géographique de ce groupe – la Croatie, rarement associée à la scène metal –, la curiosité m’emporte. Que peut offrir le black metal depuis les confins des Balkans ? La réponse viendra rapidement : une claque maîtrisée, sombre et intense.
Dans l’obscurité quasi liturgique de la Temple, Tryglav, projet mené par Boris Behara, impose un climat dès les premières secondes. Son black metal mélodique, glacial et habité, s’inspire clairement de l’école scandinave.

Le groupe, masqué, statique, laisse toute la place à la musique. Chaque note semble sculptée pour s’imprimer dans l’ombre.
Avec deux albums au compteur, Tryglav déroule une setlist dense, fluide et sans accroc. Le concert avance avec une efficacité implacable, alternant les moments de fureur et les passages plus atmosphériques flirtant avec le post-black, avant de replonger dans le chaos contrôlé.

L’ambiance est presque rituelle. Ici, l’intensité se lit dans les regards, les hochements de tête, et surtout dans le silence religieux entre les titres, preuve d’un respect tangible.
Tryglav n’a pas seulement honoré sa présence sur la Temple, il a imposé une voix neuve, froide et cohérente dans une scène déjà foisonnante. Un nom à retenir – et un groupe qu’on espère revoir très vite sur des scènes plus larges.

Freak Kitchen, emmené par l’inclassable Mattias “IA” Eklundh, débarque avec une promesse : celle d’un concert où virtuosité, humour et excentricité se mêlent à une maîtrise totale du chaos musical.
Ce n’est pas un groupe de metal conventionnel. Et c’est précisément ce qui en fait un ovni bienvenu dans la programmation du Hellfest. Le trio propose un métal progressif groovy et débridé, qui pioche aussi bien dans le jazz, le funk, la pop ou les rythmes indiens que dans le heavy pur jus.

Leur prestation est avant tout vivante, joyeuse et impertinente. Entre deux titres, IA s’adresse au public avec son accent suédois et sa légèreté naturelle, créant une proximité immédiate. On est ici pour s’amuser, pour explorer – et tant mieux si ça détonne.
Dès l’ouverture avec Everyone Gets Bloody, le ton est donné : des riffs aussi techniques que décalés, des lignes de basse élastiques, une batterie au groove chirurgical. Le tout avec un sourire en coin.

Des titres comme Porno Daddy, Razor Flowers ou l’inévitable Freak of the Week sont livrés avec un panache rare. IA Eklundh enchaîne les plans techniques avec une nonchalance confondante. La musique est complexe, mais elle reste fluide et accessible.
Freak Kitchen c’est un groupe à la lucidité sociale mordante, qui n’hésite pas à glisser des messages dans ses textes, avec ironie ou provocation. Le titre Propaganda Pie en est un exemple frappant, à la fois critique des médias et tube fédérateur.

Un instant de relâchement rafraichissant avec un groupe qui ne se prend pas la tête tout en offrant une prestation technique et de qualité.
Setlist
- Everyone gets bloody
- Morons
- Speak when spoken to
- Porno Daddy
- Sa kan det ga när inte haspen Är pa
- Troll
- Freak of the week
- Razor flowers
- Propaganda pie
Le milieu d’après-midi s’installe sous un soleil implacable. La chaleur est écrasante, presque étouffante, mais les deux murs d’eau du site apportent un semblant de répit. Dans ce contexte brûlant, D‑A‑D (anciennement Disneyland After Dark) monte sur scène avec un objectif simple mais clair : rappeler que le rock, le vrai, celui qui sent la sueur et la scène, n’a pas d’âge.

Avec près de quarante ans de carrière, les Danois livrent un set conciliant efficacité, générosité et un soupçon de nostalgie bien dosé. Pas de poudre aux yeux : juste quatre musiciens complices, une rythmique solide, des solos bien sentis et une science de la scène forgée au fil des décennies.
Dès l’ouverture sur Jihad, le ton est donné : un son puissant et direct, à la croisée du hard rock US et de l’énergie punk nordique. Stig Pedersen et sa basse à deux manches, toujours aussi improbable qu’iconique, attire autant les regards que les sourires. Le public, d’abord clairsemé par la chaleur, s’épaissit peu à peu jusqu’à former une fosse compacte et conquise.

Les classiques s’enchaînent : Girl Nation, Everything Glows, Bad Craziness, et bien sûr Sleeping My Day Away, véritable hymne de clôture repris à pleins poumons. Jesper Binzer (chant/guitare), charismatique sans en faire trop, assure le lien avec le public avec simplicité et humour. L’alchimie du groupe est palpable, sans artifices.
D‑A‑D n’a pas cherché à réinventer la roue : ils l’ont faite tourner à plein régime. Leur rock aux allures rétro garde une puissance fédératrice intacte. Dans un festival où l’extrême est souvent roi, leur set fait office de parenthèse rafraîchissante.

Setlist
- Jihad
- 1 st, 2nd & 3rd
- Girl nation
- Speed of darkness
- Grow or pay
- Riding with Sue
- Everything glows
- Bad craziness
- Sleeping my day away
Visions of Atlantis a hissé haut les couleurs du metal symphonique sur la Mainstage 2, transformant le Hellfest en un véritable théâtre d’aventures maritimes et d’épopées lyriques.

Porté par la complicité scénique de Clémentine Delauney et Michele Guaitoli, le groupe autrichien a livré une prestation à la fois dense et élégante, entre opéra metal et récits de piraterie fantasy.
Le concert s’ouvre sur Master the Hurricane, véritable déclaration d’intention : riffs tempétueux, orchestrations épiques, voix en fusion. Le duo vocal brille d’emblée, alternant harmonies soignées et envolées théâtrales. Clémentine séduit par sa précision et son charisme, tandis que Michele insuffle la tension dramatique qui donne à chaque titre sa profondeur.

La setlist, largement issue des albums Pirates (2022) et Pirates II – Armada (2024), illustre l’évolution du groupe vers une écriture plus narrative et affirmée. Clocks, Melancholy Angel ou encore Pirates Will Return déclenchent une adhésion immédiate. Le public, d’abord spectateur attentif, devient rapidement acteur engagé.
La section rythmique, solide comme la coque d’un galion en pleine tempête, soutient les envolées mélodiques avec une rigueur implacable. Et lorsque Armada retentit en final, la fosse embarque sans la moindre hésitation.

Setlist
- Master the Hurricane
- Clocks
- Legion of the seas
- Tonight i’m alive
- Hellfire
- Pirates will return
- Melancholy angel
- Armada
Les Allemands de Beyond the Black investissent la Mainstage 2 avec la promesse de livrer un metal symphonique puissant, accessible, et sans excès inutiles. Mené par la charismatique Jennifer Haben, le groupe a offert une performance à la fois fluide et élégante.
Dès les premières notes de In the Shadows, le ton est donné : la scénographie est sobre, concentrée sur l’essentiel. La scène devient un écrin pour une musique ciselée, entre refrains accrocheurs et structures mélodiques puissantes.
Des morceaux comme Hallelujah, Heart of the Hurricane ou Lost in Forever suscitent une réaction immédiate du public : les bras se lèvent, les chants s’élèvent, preuve que Beyond the Black a su créer une véritable connexion.
La performance vocale de Jennifer Haben impressionne par sa justesse autant que par sa capacité à incarner chaque texte avec émotion. Alternant passages puissants et instants plus introspectifs, elle guide le set avec aisance, évitant toute emphase inutile.
Le moment fort reste sans doute Reincarnation, joué pour la première fois au Hellfest : un morceau chargé d’intensité, qui laisse planer une atmosphère presque sacrée sur la fosse.
Beyond the Black a rappelé que le metal symphonique n’a pas besoin d’artifices pour marquer les esprits. Leur passage au Hellfest fut un moment d’élégance sonore, porté par une sincérité scénique rare et une musique qui parle autant à la tête qu’au cœur.
Setlist
- In the shadows
- Hallelujah
- Songs of love and death
- Reincarnation
- Rising high
- Heart of the hurricane
- When angels fall
- Shine and shade
- Lost in forever
La chaleur accablante et la fatigue accumulée auront finalement eu raison de ma détermination. Après ce dernier concert, je choisis de prendre le chemin du retour, préférant préserver mes forces pour affronter la journée finale, qui s’annonce d’ores et déjà épique. Un ultime chapitre qui culminera avec l’événement que beaucoup attendent : le grand retour scénique de Linkin Park.


